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Poétiques et politiques de l’habitat léger

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par Eric Furnémont et Emeline Curien

Qu’il apparaisse comme une nécessité pour se construire un logement moins onéreux avec des techniques simples, ou comme une force de résistance poétique et politique (l’imaginaire de la cabane mobilisé dans des démarches moins consommatrices des sols et des ressources de la planète), l’habitat léger est à la rencontre des urgences de l’habiter aujourd’hui.

Cette forme de revendication au droit à habiter simplement commence à rencontrer aujourd’hui, non sans difficultés, une relative acceptation sociale, la bonne volonté de certaines administrations communales, ainsi que les prémisses d’une reconnaissance légale. Elle se heurte surtout dans les faits à de fortes incohérences. Les législations relatives à l’habitat
“conventionnel” s’appliquent en effet aussi aux diverses yourtes et tiny-houses, ne permettant en aucune manière de construire des habitats légers économes. Ainsi, par exemple, la loi sur la performance énergétique des bâtiments (PEB) oblige à déployer un éventail de dispositifs techniques démesuré par rapport à la surface habitée: les questions de chauffage et d’agrément des systèmes techniques, par exemple, sont intégrés dans la loi par les firmes proposant des solutions industrialisées. Toute autre solution économique, et en particulier le chauffage au bois, est de fait fortement pénalisée dans les logiciels réglementaires.

Par ailleurs, l’ensemble des normes et des certifications exigées pour l’habitat aujourd’hui est orienté uniquement par des visées performatives: celles-ci ne prennent rien en compte dans leurs calculs du local, du mode d’énergie utilisée (les équations ne voient aucune différence entre des calories produites avec du bois, du pétrole ou du nucléaire), de la toxicité
des matériaux, de leur origine et des conditions de travail des fabricants qui peuvent être exploités à l’autre bout du monde.
Hors sol et édictée sans concertation avec les concepteurs, architectes, représentants d’habitants…, ce respect des normes ne dit, en réalité, rien de la qualité écologique réelle des constructions, ou de leur relation au lieu spécifique dans lequel elles s’installent. Ainsi, si l’habitat léger avec toutes ses qualités peut apporter des réponses aux problématiques écologiques,
dans leurs aspects non seulement matériels mais aussi sociaux et spirituels, il est aussi en risque de devenir un produit générique, objet conçu pour être acheté comme une caravane et placé dans son environnement sans aucune relation avec son milieu, le soleil, les vents dominants, les humains et non-humains qui y résident déjà, sans jamais poser la question du vivre ensemble. Plus encore, il peut potentiellement devenir une nouvelle catégorie dans les catalogues des clefs-sur-porte proposés par des promoteurs immobiliers ou des constructeurs en série, une collection d’objets isolés, dépendants de la voiture, sans aucun questionnement sur la vie spécifique des collectifs d’habitants, sans prise en considération de la mémoire des territoires et de leur préservation écologique.

Les habitats légers pourraient pourtant devenir porteurs de futurs politiques et poétiques en puissance, de nouvelles formes de vie individuelles et collectives, de développement et de revalorisation de forme d’artisanat et de savoir-faire pour les construire, de relations autres au vivant et de formes renouvelées d’agriculture… Il apparait ainsi essentiel de soutenir et favoriser ces initiatives, sans perdre de vue que les habitats légers ne sont pas vertueux en eux-mêmes. Dans la situation actuelle, ils pourraient même faire diversion et faire oublier les questions qui comptent. Ne faudrait-il pas aussi enclencher rapidement une réelle politique de réflexion sur la spéculation des sols, rendre possible l’augmentation du nombre de foyers constructibles sur les derniers terrains à bâtir existants, permettre de densifier les lotissements déjà construits? Et, surtout, interroger la précarité grandissante de ceux qui, par choix ou par nécessité, souhaitent vivre autrement et se retrouvent sans alternative sur le marché immobilier actuel?

Force est ainsi de constater que c’est un paradigme sociétal et civilisationnel qui est en jeu, et que la réponse n’est pas gagnée sans une réflexion et une attitude beaucoup plus globale sur le droit urgent aux êtres humains à habiter autrement sur la terre.

Eric Furnémont, Emeline Curien

Montegnet, mars 2021

Eric Furnémont est architecte, diplômé de philosophie, et inquiet des questions sociales, politique et culturelles liées à l’écologie depuis plus de trente ans.
Emeline Curien est architecte DE, docteur en histoire de l’art, enseignante et chercheuse à l’école nationale supérieure d’architecture de Nancy.

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